my 106 is worst than your 107s
Au crépuscule de mes 106 ans je fais le point sur ma vie, il est
temps.
Mes ennemis sont tous morts, je me suis vengé d’eux en les laissant crever dans des souffrances parfois inespérées.
Je suis allé voir certains, mais pas tous hélas, afin qu’ils confrontent leur
déchéance à mon sourire et qu’ils en retirent l’amertume qui a dû coller à leur
gorge jusqu’au dernier râle.
Il ne faut pas croire que je n’en ai retiré que du plaisir, non, même si c’était
une grande partie de ce que je cherchais. Aller voir les gens mourir par
plaisir n’est pas un acte sans conséquence sur son propre décès : il le
gâche un peu par ricochets.
Je me suis vu mourir dans leurs yeux aussi ; il est heureux qu’ils aient
été assez cons pour ne pas s’en apercevoir, ça nous aurait rapprochés. Horreur !
Mes rares amis ont disparu, eux aussi.
J’ai tenté d’assister à leurs funérailles au début ; rencontré ainsi
la plupart des amis de mes amis que je ne connaissais pas : des succédanés
d’amis, des révélateurs de leurs faiblesses et de leurs aspirations, souvent
les moins avouables. Ainsi, ils sont devenus moins amis après leur disparition.
Ce qui du point de vue purement pratique ne fut pas un mal, cela va sans dire.
Mes amis enterrés je les ai du coup moins regrettés.
Mais il a fallu que je m’abstienne
de suivre le corbillard de ceux que j’avais choisis de me rester chers
(chairs). J'ai pensé à 4 mariages et 1 enterrement, à moins que ce ne soit l'inverse, j'ai frémi sans raison apparente, et pourtant.
Mes amantes ? Elles ont survécu. Il faut bien quelqu’un
qui pense à moi, de loin en loin ; sinon, comment aborder sereinement mes
107 ans ?