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Corpus Delicti
30 novembre 2007

Conte pour enfants battus

 

 

 

 

 Par les chemins de Parsimone, un homme allait, vêtu de guenilles, une carapace de poussière et de crasse agglomérées cachait son visage ; je m’approchai d’un pas, puis de deux, m’arrêtai, son visage se déformait à mon approche. Deux formes confuses ballotaient, accrochées à ses bras, humaines je crois. Il les serra contre lui.

 

« Homme où te rends-tu ainsi, que fais-tu sur ce chemin qui ne mène nulle part ?

 

(Je le sais, j’en reviens.)

 

- Etranger, laisse-moi, ta présence me gêne, tes mots me ralentissent, va-t-en !

 

- Que tiens-tu ainsi ? n’as-tu point passé l’âge de jouer à la poupée ? Pourquoi cette urgence, pourquoi ce silence ?

 

- Etranger, je te le répète, va-t-en, avant que je ne tempête, avant que de mes poupées je ne te batte. Mon silence n’est pas puisque je te parle, n’entends-tu pas ? Oui, je suis pressé, ma quête n’attendra pas, et les obstacles de ton espèce ne m’arrêteront pas. Ote-toi de mon chemin ou il t’en cuira !

 

Je ne pus m’empêcher de sourire, cet être ridiculement faible et fluet me menaçait !

 

Je ne bougeai pas.

 

- Bien, montre-moi ta détermination, bats-moi de tes poupées ou de ce que tu voudras, je ne te laisserai pas.

 

Il devint aussitôt comme hystérique, trépigna, hurla, battit les fougères de ses bras, lança vers moi ses poupées, qu’il déchiqueta.

 

Amusé, je le regardais, me demandant dans quel monde il était qui lui permettait de se croire si puissant. Ses coups me frôlaient comme le vent à la fenêtre d’une nuit d’été tiède en faisait frémir les voiles.

 

- Homme, que crois-tu faire ? tu ne m’atteins même pas !

 

Son visage se détendit soudain, un éclair narquois, parti de ses yeux semblait l’illuminer :

 

- Ce n’est pas toi que je bats, ce sont mes poupées.

 

Quelque chose dans son attitude m’interpella… quelque chose dans la posture des chiffons au bout de ses mains me fit sursauter : ce n’en était pas.

 

- Homme indigne, je ne comprends pas, c’est moi l’objet de ta haine du moment, que fais-tu à… ces enfants-là !?

 

- Cela ne te regarde pas, ce sont les miens, me rétorqua-t-il, et ce que j’en fais ne te concerne pas.

 

- Alors, laisse les, viens te mesurer à moi.

 

- Etranger, cette fois encore tu ne comprends pas, si je les bats, c’est toi que je vaincs, car tu souffres de ce que je leur inflige, par ma foi.

 

Interloqué, je le fixai d’un air contrit : oui, il avait raison, il me battait plus fort que de ses poings. Plus sûrement que n’importe quel coup qu’il aurait pu m’asséner.

 

- Mais eux ? pourquoi ? de quel droit ?

 

- Eux ? un nouveau sourire s’élargit sous ses petits yeux froids. J’ai les droits que me confère le pouvoir des pères. Ils sont à moi, depuis leur voix jusqu’à la fin de leurs nerfs. Va-t-en à présent. Laisse-moi passer, pour la dernière fois.

 

- Je ne te laisserai pas passer, homme qui n’en a que lointaine apparence, si tu ne  me dis l’objet de cette quête qui te fait sacrifier tes enfants ainsi.

 

Il se mit à sangloter. Je n’en revenais pas. Lui que la douleur de ses enfants laissait froid, il pleurait…

 

- Je… cherche… me dit-il entre vertes glaires et hoquets humides, je cherche l’homme… l’homme qui a trahi son amour...

 

Je le fixai sans comprendre…  Il était fou ou trop amer, il ne voyait pas?

 

- Ce type de traitre est bien courant je crois, ton état me laisse à penser que tu manques de chance, singulièrement : pour ma part, j’en vois à chaque pas.

 

- Pâle étranger si stupide, que de temps je perds avec toi ! Je t’en prie, laisse moi.

 

Ce disant, vers ses enfants il fit un pas.

 

- Misérable, tu ne recommenceras pas ! dis-moi ton secret ou je te briserai ! ou bien prends t’en à moi car j’ai trahi l’amour, je te le dis.

 

Son air se fit matois, il me jaugeait, j’en frémis.

 

- Si tu me brises, tu les briseras en même temps que moi…
As-tu déjà aimé ? As-tu été trahi toi-même ?

 

- Oui, je crois, répondis-je d’un souffle en croix.

 

- As-tu trahi l’objet de tes pensées ? L’as-tu brisé aussi ?

 

- Sans le vouloir, oui, une fois.

 

- Le regrettes-tu ? penses-tu à lui le soir quand tu as froid ?

 

- Oui, chaque soir, et j’ai toujours froid, même quand le soleil ne se couche pas.

 

- Et cet amour qui t’a trahi, l’as-tu brisé aussi ?

 

- Non ! je l’aimais, pourquoi le briser ? je ne comprends pas.

 

- Tu ne m’intéresses pas ! tu n’es pas celui qui a trahi ! 

 

- Pourtant si, j’ai trahi ! Ecoute-moi !

 

- Celui qui a vraiment trahi l’amour, il est comme moi, de vengeance son cœur est empli, il n’a jamais froid. Par les chemins il divague, il me cherche, j’en suis convaincu. Des sources taries il fait remonter la souffrance, en cherche d’autre, s’en abreuve mais a toujours soif … du mal il se désaltère, la vengeance l’anime car il a eu mal, si mal, à tel point que…  vois-tu, –son regard se mit à luire d’un éclat presque clair, quasi lucide- c’est l’amour qui était en lui qu’il a trahi quand son amour l’a trahi.
Celui qui n’a jamais trahi se trahit lui-même, il a raison.

 

Ainsi donc, c’était cela. Cet homme voulait rendre sa douleur, au centuple s’il le fallait.

 

- A-t-il encore le nom d’homme, celui qui agit ainsi ? De quelle humanité se targue-t-il, lui qui ne vaut pas la poussière qui le couvre, lui dont le courage se résume à tant de lâcheté ? Ne sait-il que pleurer sur lui ? Comment supporte-t-il le mépris qu’il amasse ? Que ton pareil existe, je ne crois pas. S’il existait, en contemplant ta face immonde, il ne se reconnaitrait pas, il ne le pourrait pas.

 

Et puis, pourquoi veux-tu tant le trouver ? repris-je, pourquoi te cherches-tu tant à travers lui ?

 

- Pour le tuer. »

 

 

 

 

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Commentaires
C
Je l'ai lu et relu. Et je ne sais pas quoi en dire. Il y a des textes qu'on peut juste tenir un instant dans les mains, qu'on ne peut emprisonner dans une cage de mots.<br /> <br /> Bise-main Messire
S
Les fables gardent toujours leurs parts de mystère...et leurs secrets ricochent sur tous les coeurs, sur d'autres vérités profondes qui peuvent aussi s'asseoir et se libérer.<br /> La mienne est celle ci, je suis assise prés de toi aussi.
M
Cette fable s'adresse à un homme, et si quelqu'un doit en être blessé, c'est lui, personne d'autre.
S
Merci de m'avoir racontée...de ce temps passé ensemble.
S
Il y a des contes pour adultes qui finissent avec des aiguilles plantées dans le coeur des femmes humiliées comme des chiffons. Ecris moi pour dire que celui n'est pas signé de ta main.
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